Publié le 03 juillet 2023
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⇒ Retour vers la Partie 0 (introduction) : L’esprit de l’Approche Systémique
⇒ Retour vers la Partie 1 : Renforcer l’action associative grâce à l’Approche Systémique
Comme j’ai pu le décrire dans la première partie, j’ai rencontré de nombreuses organisations qui avaient des velléités de provoquer des transformations profondes et durables, de contribuer à un Changement Systémique mais sans avoir les moyens, pris le temps ou mis l’énergie pour appréhender le besoin social de manière systémique. Or, comment espérer “transformer un système” quel qu’il soit, si on n’a pas pris le temps de l’étudier, de l’analyser, de le sentir, de l’explorer pour ce qu’il est : un système ? Que diriez-vous si votre médecin vous programmait une opération ou vous prescrivait des antibiotiques, sans avoir pris le temps de vous ausculter ni d’avoir réalisé un diagnostic ? C’est ce que nous faisons trop souvent avec les systèmes qui nous entourent : nous espérons les transformer sans forcément faire de “diagnostic” systémique.
Le constat peut être formulé dans des termes proches pour les associations qui ne visent pas forcément un Changement Systémique mais souhaitent avant tout répondre à un besoin social dans une logique d’Impact Direct : peut-on vraiment espérer que les programmes et les actions d’une association agissent sur un seul élément (c’est-à-dire influencent uniquement ce que ses programmes cherchent à influencer) sans avoir le moindre effet sur d’autres paramètres, sur d’autres éléments autour ? Peut-on se permettre de ne pas vérifier si nos actions ont des effets de bord et tout particulièrement si elles ne participent pas à maintenir le problème à long terme ? Je ne crois pas que vous seriez satisfaits si votre médecin (toujours le même !) vous prescrivait un traitement qui soignait votre maladie tout en en provoquant une autre. Ni si le médicament qu’il vous faisait prendre atténuait les symptômes de votre maladie à court terme mais la renforçait à long terme. C’est ce que nous faisons trop souvent quand nous concevons et déployons des programmes qui s’attachent à répondre à un besoin social, évaluons éventuellement leur impact, et constatons que nous avons bien obtenu le résultat souhaité… sans avoir une vision plus systémique qui aurait consisté à se demander : quels sont les effets de mes actions sur le besoin social à long terme, sur la capacité de résilience du système, sur le pouvoir d’agir d’autres acteurs du système, sur d’autres besoins sociétaux, etc. ?
J’espère que la première partie de ce guide vous aura convaincu de l’importance d’adopter une Approche Systémique pour porter des programmes - visant un Impact Direct ou un Changement Systémique - de la manière la plus saine et puissante possible. J’espère surtout que cela vous aura donné envie de consacrer du temps, de l’énergie et des moyens raisonnables pour devenir apprenant sur votre système.
Est-ce que du temps et de la bonne volonté suffisent pour autant ? J’ai également rencontré de nombreuses personnes et organisations qui veulent “transformer tel ou tel système” et qui sont prêtes à prendre le temps nécessaire pour explorer, analyser … mais sans chercher à comprendre ce que sont fondamentalement les systèmes et comment ils fonctionnent. Filons la métaphore précédente : cette fois, votre médecin (maudit soit-il) prend le temps de vous ausculter consciencieusement puis vous prescrit un traitement médical. Comment réagissez-vous si vous découvrez qu’en fait, il n’a pas fait d’études de médecine et que ses connaissances en anatomie et en physiologie ne sont pas plus fournies que celles du tout-venant ? C’est ce que nous faisons trop souvent quand nous abordons des problèmes sociaux qui par définition sont complexes, interconnectés, multi-dimensionnels sans avoir les outils, le bagage conceptuel, le langage, l’approche pour aborder cette complexité.
On peut objecter que les enjeux sociétaux ne sont pas de la même nature que le corps humain, qu’ils ne peuvent être étudiés comme des “sciences dures”, qu’il est vain d’imaginer qu’on peut étudier et comprendre par exemple la grande pauvreté comme on peut étudier et comprendre le système digestif. Je l’admets aisément : c’est faire fausse route qu’imaginer que l’on peut parfaitement comprendre un système, ou plus spécifiquement les mécanismes d’ordre systémique qui perpétuent un problème social. On a encore moins de certitudes quand il s’agit de bâtir une stratégie visant un Changement Systémique. C’est pour cela que je parlais de faire des “paris” en partie 1 : viser un Changement Systémique est forcément une tentative comportant une grande part d’incertitude. Est-ce pour autant une raison suffisante pour ne pas s’intéresser à ce que sont les systèmes, à leurs caractéristiques, aux leçons qu’on peut tirer de leur fonctionnement ? Je fais appel à ma métaphore médicale une dernière fois (promis !) : on est par exemple actuellement bien loin de comprendre parfaitement le fonctionnement du cerveau humain. Est-ce que cela veut dire que les études de neurologie sont inutiles ? Des découvertes dans les années à venir vont certainement remettre en cause certains actes ou traitements actuels : il n’empêche, nos connaissances actuelles - même partielles - du fonctionnement du cerveau et du système nerveux permettent de traiter bien mieux un certain nombre de pathologies qu’il y a quelques décennies. Je préfère m’en remettre aux soins d’un neurologue de 2023 pour soigner des maux de têtes persistants et inexpliqués que d’être entre les mains d’un médecin du Moyen-Âge. Mieux vaut comprendre un peu, même imparfaitement, que pas du tout !
<aside> 💡 Parlons donc franchement **: cessons de croire que l’on peut correctement agir sur des systèmes sans comprendre un minimum ce qu’est un système, son fonctionnement de base, ses principales caractéristiques !
La pensée systémique ne résoudra pas les problèmes de manière magique mais donne des bases conceptuelles pour appréhender les enjeux sociétaux dans leur complexité, et ainsi avoir plus de prises dessus. J’affirme en revanche que la pensée systémique est un prérequis pour toute association qui souhaite porter des actions d’Impact Direct saines et durables, et pour toute association qui a l’intention de contribuer à un Changement Systémique.
L’objet de cette seconde partie est de vous proposer quelques notions de pensée systémique, à travers une mise en perspective de leur utilité pour l’action associative.**
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J’ai une bonne nouvelle : pas besoin de faire autant d’études qu’en médecine pour avoir déjà quelques bases utiles en systémique et les intégrer au coeur de la démarche de son association.